J'avais rendez-vous chez un stomatologue pour une intervention sur la racine de ma dent « 15 ». Durant la consultation préliminaire, le praticien m'avait conseillé de ne pas venir à moto, car mon casque risquait de me gêner au retour, je décidais tout simplement de prendre les transports en commun.
Je pris donc le bus N°3, avenue du Canada en direction du boulevard de Metz, à l'autre bout de la ville, où se trouvait la « clinique buccale ». Dans l'autobus, je restais debout devant un fauteuil vide qui se trouvait face à moi et qui tournait son dossier à la route. J'aime bien les surprises et quelle ne fut pas ma joie lorsqu'une jeune femme blonde et charmante, la trentaine, vint s'asseoir à cette place deux arrêts plus loin, j'en étais ravi. J'étais à moins d'un mètre d'elle et je décidais de lui faire la conversation à la japonaise, je veux dire lui parler mentalement… Une idée comme ça. Mes pensées, je ne peux pas dire mes paroles, étaient douces, aimables, sympathiques et flatteuses. La jeune femme, la tête légèrement tournée vers la fenêtre, se mit à fermer les yeux pour mieux m'entendre. Un rayon de soleil vint lui caresser le visage, il m'aidait bien… Mon monologue durait et la femme maintenant souriait, elle aimait, elle adorait, sa respiration s'accélérait. De temps en temps, elle me regardait, mine de rien, comme si elle se demandait ce qui lui arrivait. Pendant ce temps, le bus roulait, je ne voyais pas le temps passer et je ne pensais pas à ce qui m'attendait chez le « stomato » (ketchup). Un peu plus loin, une septuagénaire vint s'accrocher à la barre qui nous séparait, ce qui ne m'empêchât pas de continuer mon discours.
Je connaissais bien la ville, mais ne savais pas quel était l'arrêt le plus près de mon boulevard de destination, c'est donc tout simplement que j'engageais une conversation orale avec la même jeune femme :
- Excusez-moi, vous connaissez la ligne ? Demandais-je sur le même ton que mon aparté.
- Heu, oui ça dépend, répondit-elle encore sous l'effet de mes compliments.
- Connaissez-vous l'arrêt le plus proche du boulevard de Metz ? Continuais-je.
- Ha, non pas du tout ! S'exclamât-elle, désolée.
- Je descends à cette station, intervint la septuagénaire, si vous voulez descendre avec moi ?
- Avec plaisir, c'est donc vous que je suis, concluais-je... décontenancé, essayant de ne pas montrer ma déception.
Je remerciai la jeune femme d'un sourire qu'elle me rendit, ravie d'entendre que j'avais obtenu ma réponse et aussi pour s'excuser de n'avoir pu me renseigner.
L'autobus stoppa, nous nous saluâmes d'un hochement de tête, esquissant un nouveau mouvement des lèvres et des yeux, pendant que je descendais et que je suivais mon nouvel ange gardien. Je remerciai mon guide et filai vers mon calvaire car j'étais très en … j'étais en avance !
mardi 7 octobre 2008
L'ange gardien
samedi 4 octobre 2008
Le secret du motard
Ne devions nous pas faire un tour de moto ? Allez viens je t’emmène.
Le motard est un pilote et un conducteur. Apprécier l’effet gyroscopique, connaître sa moto, son comportement, son accélération, son freinage, son inclination : c’est le pilotage ! En roulant, tenir compte de la route, de la signalisation, des autres usagers : c’est la conduite ! tout ces apprentissages doivent être acquis par le motocycliste qui ne doit faire qu’un avec sa machine.
Quand je la regarde sur sa béquille centrale elle ne me trompe pas, elle n’est pas humaine ce n’est qu’une bécane, une mécanique qui mène au plaisir…
Je démarre l’engin, les cents chevaux hennissent prêts à se cabrer ; j’accélère à coups répétés, les trois cylindres feulent, rugissent à la manière d’une panthère. Plus de doute la belle est une bête !
Je m’élance doucement sur la voie, je connais son caractère il ne faut pas la brusquer. Elle vibre entre mes cuisses, m’enivre déjà car je connais ce qui m’attend. Le vent qui me fouette, le paysage qui défile, l’accélération qui m’émoustille me donne ces sensations de liberté que le passager ou la passagère connaît. Tout ceci n’est que l’aube du délice, le motard a son secret…
Voilà les premiers virages : l’adrénaline monte en même temps que l’agrément ; la route jusqu’alors ligne de conduite devient ligne de plaisir ; la jouissance se module suivant les courbes de l’asphalte. Je me concentre, mon œil informe mon cerveau qui analyse la vitesse, donne la trajectoire et ordonne à mes membres d’accélérer ou de freiner. La vitesse n’a pas besoin d’être très élevée, il suffit qu’elle soit adaptée au virage. Une vitesse, trop faible et je suis frustré le plaisir est pauvre, bien dosée c’est l’extase, excessive c’est la sortie de route ou l’orgasme : la fin du plaisir. Tu auras compris qu’il ne faut pas atteindre l’orgasme au premier virage, l’éviter le plus longtemps possible, le frôler au plus près sans jamais l’obtenir. Je ne suis pas dupe : plus vite…moins vite… encore… ce n’est pas ma maîtresse qui me le demande, c’est mon propre esprit.
Une entrée de courbe trop rapide, je reçois l’ordre de freiner, des frissons me parcourent le dos, déjà l’ordre d’accélérer m’est donné pour raviver l’émotion avant qu’elle ne disparaisse. Les virages enjôleurs s’enchaînent et les plaisirs se déchaînent. Je continue, j’aime jusqu’à l’épuisement.
Je préfère les départementales sinueuses et leurs arabesques, aux quatre-voies fadasses où sévit la loi castratrice et ses radars voyeurs. Après une journée de moto, je suis fatigué, repu et satisfait.
J’aime partager ces délices avec mes copains motards, comme on partage un festin entre amis. C'est tout ça la moto !
Tu me demandes alors , comment je perçois la présence d'une passagère ou d'un passager ? Avec une passagère, on ne peut qu'éprouver les prémices : l'accélération, le vent , lui faire écouter le cri de la bête. Les bras de celle-ci, ceinturant le pilote sont agréables, son Aura le réchauffe, si on veut aller plus loin avec elle, mieux vaut s'arrêter et rouler dans l'herbe en sa compagnie, l'emmener directement au delà du virage serait criminel ! Quant à un passager, c'est occasionnel, c'est juste du transport.
dimanche 21 septembre 2008
Bain de sang
Le thème imposé était : "Paroles de baignoire"
Jean-Paul Marat avait quitté la chambre des députés pour la salle de bain, une nouvelle poussée d’eczéma le faisait souffrir gravement. L’origine de sa gourme semblait incertaine pour ses médecins : herpétique d’après Souberbielle, diabétique d’après Cabanès. Depuis plus d’un mois, il passait donc le plus clair de son temps à ramollir ses croûtes dans mes eaux y rajoutant poudres et autres remèdes de grand-mère. L’Ami du peuple continuait cependant à travailler, il écrivait sur une planche grossièrement rabotée posée de mon bâbord à mon tribord.
Nous cabotions ensemble tantôt dans un jus royal de guillotine, tantôt sur un océan d’hémoglobine. Les têtes royalistes étaient tombées d’abord, c’était maintenant aux bobines des « ennemis du peuples » de rouler dans la sciure.
Cette table improvisée supportait le dernier numéro du Publiciste de la République Française dont Marat était le principal rédacteur et deux billets d’une certaine Marie-Anne Charlotte Corday. Cette femme, dans sa correspondance, lui demandait une entrevue au sujet d’un complot organisé par des Girondins réfugiés à Caen dans le Calvados. Elle s’était déjà présentée le matin à la maison, au 30, rue des Cordeliers, mais la portière l’avait refoulée. C’est ce que cette dernière avait rapporté à Marat.
Vers 7 heures du soir ce 13 juillet 1793, nous entendîmes de la salle de bain, un fiacre s’arrêter dans la rue. Quelques minutes plus tard, la maîtresse de Marat ouvrît la porte des appartements, puis arrêta une jeune femme qui voulait s’entretenir absolument avec l’Ami du peuple. Marat toujours à bord de mon sabot fut sorti de ses écrits par les éclats de voix des deux femmes. Au bout de quelques secondes d’attention, il comprit qu’il s’agissait de l’inconnue dont il avait reçu les deux messages. Il ordonna à Albertine, malgré son désaccord, de la laisser entrer.
Charlotte pénétra dans la salle de bain ; le soleil n’éclairait plus la rue étroite et la lumière baissait dans la pièce. La jeunette était habillée à la mode révolutionnaire et le quadragénaire était nu, sans culotte bien qu’il n’en fut pas un. Autre contraste, leur âge, elle allait bientôt fêter ses 25 ans et paraissait très jeune comparée à Jean-Paul, un vieillard bien qu’il n’eut que 46 ans. Charlotte, bras ballants le long de mon émail, fuyait le regard du député de peur qu’il ne lise son destin dans ses prunelles. Il l’interrogea sur la situation dans le Calvados, elle essaya d’endormir au mieux son interlocuteur. Il lui demanda avant de la congédier de lui dicter les noms des députés réfugiés en Normandie déjà mis en accusation par la convention ; elle s’exécuta. Quand il eût écrit le dernier… Duchastel, il s’exclama : «Très bien…Sous peu, ils passeront tous à la guillotine ! » Guillotine, c’est le mot qui rappela à Charlotte ce qu’elle était venue faire dans cette maison, faire cesser ces massacres à la guillotine orchestrés par Marat. Elle sortit une lame de son corsage et exécuta le tyran, le frappant au niveau du cœur. Un seul coup, la précision du geste et sa violence suffirent à trancher l’aorte de la victime qui appelait déjà sa maîtresse au secours. Son artère pissait maintenant en saccades, arrosant les murs. Son sang réchauffait et teintait mon eau, je ne bougeais point, ma fonte émaillée resta de marbre. Ha, si j'avais été de cuivre, j'aurais pu sonner l'hallali.
La porte demeurait entrouverte et Albertine aux aguets entra aussitôt dans la boucherie suivie des gens de maison. Jean-Paul avait gerbé son âme.
Corday, qui avait laissé tomber le couteau sur le sol, n’avait ni bronché ni perdu ses couleurs, elle restait cornélienne. On l’arrêta et on l’emmena à l’Abbaye, la prison la plus proche, escortée par des gens d’armes. De la voie montaient les cris hostiles de la foule. Paris venait d’apprendre la nouvelle et accourait voir la diablesse. Puis le silence…
J’appris plus tard par la conversation des gens de maison que Marie-Anne Charlotte de Corday d’Armont, avait été guillotinée revêtue d’une chemise rouge réservée aux parricides et qu’elle avait fait montre de courage.
C’est l’histoire la plus originale à laquelle j’ai assisté, mais je vous rassure une baignoire peut aussi avoir une vie d’ange.
dimanche 7 septembre 2008
Des Roms et des cigarettes
Mon fils aîné, qui habite Lyon, a décidé de passer ses deux jours de repos en Ardèche avec moi, je viens de Bretagne et nous nous sommes donné rendez-vous à la gare de Valence où j’arrive avec une heure d’avance. Je trouve une place sur le parking juste en face. Il reste cinquante cinq minutes avant l’arrivée de mon Lyonnais, je décide d’avaler un köfte au kebab du coin et de prendre mon temps.
Sur la placette, une demi-douzaine de jeunes Roms venus probablement des Balkans fait la manche ; je déballe un nouveau paquet de vingt-cinq Lucky Strike, en allume une, tout en me dirigeant vers le kebab ; l’une des adolescentes vient vers moi me tendant son gobelet, je lui indique mon refus avec le sourire, elle me demande alors une cigarette que je lui tends volontiers et que je lui allume à sa demande gestique.
Dévorant mon sandwich turc, à la terrasse du restaurant près de la gare, mes pensées vont bon train, tous mes bagages sont dans la voiture et je doute l’avoir fermée. "Ben oui ma bonne dame, vous connaissez la réputation des Tziganes et des Bohémiens ?" J’ai beau me dire qu’il n’arrivera rien, que ces pensées négatives et collectives, que ces préjugés envers les Roms et les mendiants, que ces "kris(1) gadjés" en somme ne sont pas miens, je ne suis pas tranquille et je retourne sans délai à la voiture avec ma sacoche et mon paquet de cibiches dans les mains, repassant tout près des quêteurs. Surprise, rien n’a bougé, les vitres sont intactes et les portières closes.
Une seconde jeune fille s’avance alors vers moi me demandant un clope, content d’avoir retrouvé toutes mes affaires j’y consens. Je cherche mon paquet dans mes poches, dans ma sacoche, dans mes mains, mes recherches restent vaines et j’explique à la Boiash, ou à l’Arlie, ou bien à la Gurbeti, ou encore à la Lovara, à moins que ce ne soit une Kalderach(2) que je viens de perdre le fabuleux trésor de nos poumons ; je refais l’aller-retour jusqu’au kebab scrutant le sol et je l’aperçois enfin à trois mètres des pieds des quémandeurs qui sont maintenant assis en ligne et qui ne l’ont pas remarqué. Pour eux, il n’est pas pensable qu’un paquet de cigarettes arrive plein à leurs pieds, c’est pour cela qu’ils ne l’ont pas aperçu. La leçon vaut bien cinq cigarettes que je leur distribue avec plaisir.
Ma récompense a été un petit signe de la main et un sourire que les deux jeunes filles m’ont adressé, lorsque je suis reparti avec mon fiston. "Ben oui ma bonne dame, les Roms sont p't êt' ben des Humains ?"
1) Le kris est un tribunal informel rom.
2) Nations des Roms d'Europe de l'Est et des Balkans.
3) A la fin de l’histoire, combien reste-il de cigarettes dans mon paquet ?
jeudi 17 avril 2008
Le carton rouge
Il va souvent chez Huguette, une Française du centre-ville. Elle n’est pas de la métropole puisqu’elle vient d’une île, la Réunion, mais elle est Française et cela le rapproche de son rêve. Homme à tout faire, il lui donne quelques coups de main dans sa grande maison. Là-bas, il a rencontré Marie-Christine, la Parisienne, la sœur cadette d’Huguette.
Kokou a 31ans, Marie-Christine 45, mais comme elle en paraît dix de moins, il semble tous deux avoir le même âge. La créature est une sanguine, une nympho la Cricri, elle collectionne les mâles. Inéluctablement, à leur deuxième rencontre, elle l’a envoûté. En remuant, tel un asticot, son popotin, la mante a fait mouche. « Le chikungunya de Kokou m’a coquée » s’amuse-t-elle à dire.
Cricri n’est pas fidèle, c’est le moins qu’on puisse dire. Elle ne mange pas son mâle comme la mante religieuse, elle le jette quand il est épuisé. Souvent elle revient vers lui quand elle en a envie. Quelques fois elle alterne avec deux amants. Quand Kokou lui parle de mariage, elle éclate de rire. Elle a deux enfants conçus par deux géniteurs différents et elle n’est pas prête de s’attacher, si ce n’est pour des plaisirs coquins. Kokou, est un gentil et elle aime bien la partie de féminité qui brille en lui. Avant son départ pour la France, elle lui promet qu’ils reparleront mariage, sans y croire.
Les deux amants communiquent d’une capitale à l’autre par téléphone. Sans cesse, Kokou demande la main de Marie-Christine.
Elle accepte enfin, et l’été suivant, les futurs époux sont à nouveau réunis à Cotonou pour la noce. C’est le marié qui a confectionné son costume et la robe de la mariée. Leur union est célébrée et la nuit de noces orchestrée par Cricri : mémorable ! Hélas, Kokou n’a pas encore sa carte de séjour et voit repartir sa femme, seule, vers Paris.
Marie-Christine réalise les démarches nécessaires à leur rapprochement, auprès du consulat du Bénin et auprès de la préfecture dont elle dépend. Dans l’idéal, son époux est Français dans trois ans.
Voici le jeune Béninois débarquant à Roissy, en plein mois de janvier. « La France est si riche qu’on fait fonctionner « la clim » même en extérieur … » pense-t-il, gelé dans son maillot bleu flanqué du n° 10 de Zinedine Zidane. Heureusement, sa conjointe a pensé à lui et a amené un gros pull. Elle a soin de lui.
Kokou n’a pas de clientèle, il ne peut donc exercer son métier de tailleur en France. Avec l’aide de sa p’tite femme, il s’inscrit comme travailleur intérimaire et se voit bientôt confier une mission de manœuvre dans le secteur du bâtiment, dans la petite entreprise de Charles.
Tout va pour le mieux, or Cricri n’a pas changé, elle ne peut résister aux avances de son ancien amant et passe une nuit en sa compagnie prétextant l’anniversaire d’une amie. Son mari ne soupçonne rien. La diablesse se dit qu’il vaut mieux qu’il ferme les yeux, car s’ils divorcent, c’est le retour immédiat pour Cotonou. et puis « c’est bien aussi le Bénin » pense-t-t-elle, malicieuse.
Un an s’est déjà écoulé et son mari lui a déjà remboursé les frais du mariage, billets d’avions compris. Mission après mission, il est toujours dans la même entreprise de bâtiment. Pour appeler son ouvrier, le patron téléphone sur le portable de Marie-Christine qui sert d’intermédiaire et qui n’hésite pas à charmer son interlocuteur. Elle ne laisse aucune ambiguïté sur ses intentions. Charles, marié pourtant, animé par le démon de midi semble-t-il, lui donne rendez-vous. Avec Cricri, il n’y a pas loin du verre au lit et Charly passe à la casserole…
Les jours passent et la relation adultère de Charles et de Cricri perdure. Le fourgon de l’entrepreneur devient le lieu de leurs ébats. Acte manqué ou non, les deux amants sont de moins en moins discrets, c’est sans doute plus excitant. Ils se laissent surprendre dans une position qui ne laisse aucun doute, un dimanche, par le mari qui s’enfuit en courant. De retour au domicile conjugal, Kokou, touché dans son amour propre, s’énerve, prend Cricri au kiki et menace de la jeter par la fenêtre du troisième.
Le lendemain, Marie-Christine va droit au but, elle s’adresse à la police, à la préfecture et à son avocat, pour l’arbitrage conjugal. Rendez-vous est pris la semaine suivante pour une conciliation. Si Marie-Christine veut le divorce, Kokou est expulsé.
Tête baissée, il a revêtu son maillot bleu, fliqué du n° 10 de Zinedine Zidane. Au bout d’un bras levé, jaillit un carton rouge.
samedi 5 avril 2008
Trois escrocs pour un 4x4
Lors d’un retour de balade dans un autre tout-terrain, le Hollandais propose à Jeff : « Tu pars en Ardèche, c’est un 4x4 qu’il te faut, si cela t’intéresse, celui-ci est à vendre... on va s’arranger ! ». Jean-François se voit déjà avec les quatre roues motrices dans les raidillons du Parc des Monts d’Ardèche où la famille va s’installer.
Jeff est en Ardèche quand la négociation a lieu. Contre le véhicule du Hollandais qui indique plus de 350.000 Kms au compteur, Jean-François donne une calèche de chasse, sa vieille Clio qui roule bien encore et 4 500 euros. Lors de la vente, le Hollandais fournit un rapport de contrôle technique vierge de tout défaut. Jeff part confiant, l’ancien propriétaire du 4x4 lui offre, par-dessus le marché, un autoradio dans son emballage.
Jeff travaille en intérim à Privas, en attendant que l’atelier de potier soit installé dans leur nouvelle maison. Sur le trajet, il est fier comme Benoît XVI, dans son nouveau véhicule, il ne lui manque que la musique. Il se rend chez un électricien auto pour qu’on lui installe l’autoradio que le Hollandais lui a donné. « Vous n’avez pas le faisceau de l’appareil ? S’inquiète le professionnel, c’est ce qui coûte le plus cher… Moi je vends ce modèle, à cent euros, et la connectique est incluse » ajoute-t-il. Un déclic se produit dans la tête de Jeff, et si le vendeur du 4x4 lui avait menti sur toute la ligne ? Il décide d’en avoir le cœur net et de faire passer le véhicule au contrôle technique de Privas après la première semaine d’utilisation.
A son arrivée au garage, l’employé lui annonce d’entrée de jeu : « Je ne passe pas ce véhicule au contrôle, c’est un engin interdit sur la route, l’essieu est trop large… j’en réfère à mon patron. » Un peu plus tard, c’est Jean-Louis, le patron, qui inspecte le 4x4, il recense deux pages d’anomalies dont sept interdisant l’usage sur route ouverte. Jean-Louis conseille Jeff : « Il faut impérativement annuler la vente, se débarrasser de ce tas de ferraille ! Il y a des contrôles qui sont achetés, précise-t-il, ce n’est pas rare. » Il lui donne l’adresse de la répression des fraudes et précise que, si il va au tribunal, la procédure sera très longue. Jean-François a peur des représailles et préfère un arrangement à l’amiable. Il contacte le vendeur qui ne manque pas d’audace et qui explique que c’est le contrôle technique de Privas qui ne connaît pas son métier car le contrôle réalisé dans le Cher était très sérieux. Jeff lui propose de venir récupérer le 4x4 et de lui rendre la calèche et les 4 500 euros, l’argent de la Clio, déjà revendue, restant dans la poche du Hollandais. C’est ce qui, pense Jean-François, va pousser notre escroc à venir chercher son tacot.
Rendez-vous est pris, au carrefour de la Baraque, pour le nouvel échange.
Avec le Hollandais dans le rôle de la victime :
C’est là que je rentre dans l’histoire, sans la connaître. Jeff, mon voisin potier, m’explique rapidement qu’il s’est fait avoir avec un véhicule et que son ancien propriétaire vient en reprendre possession, accompagné d’un de ses collègues. Il a besoin de moi pour monter la calèche dans sa remorque. Il démarre le 4x4 qui est immobilisé en bas de chez lui, depuis qu’il connaît sa dangerosité et le conduit jusqu’au carrefour, lieu du face à face. Je rejoins mon voisin à l’intersection, au moment où un autre 4x4, beaucoup plus gros et plus récent celui-là, immatriculé dans l’Allier, arrive à son tour, tirant une calèche de chasse sur un plateau. Trois hommes, de taille moyenne, la quarantaine, en descendent. Le premier de type hollandais, à la chevelure blonde grisâtre, semble connaître Jeff. Il évite mon regard, peut-être à cause de son strabisme. Le second, antipathique, cheveux bruns piqués sur le crâne, au contraire du premier, est arrogant et ses yeux sont vifs et malins. Quand au troisième, non typé, brunet aussi, il semble plutôt sympathique. Après un bonjour rapide et froid, les trois personnages entrent en scène et s’activent autour du véhicule à reprendre, comme si chacun d’eux en était l’ancien propriétaire, c’est très surprenant. Les critiques fusent : « Le feu arrière n’était pas cassé ! dit le malin, les pneus sont sous gonflés et l’aile arrière n’était pas pliée comme ça ! » ajoute-t-il. « Mais si ! » balbutie Jean-François qui n’a, semble-t-il, pas appris son texte. Le Hollandais a soulevé le capot et vérifie les niveaux : « Il n’y a pas une goutte d’huile et il n’y a plus d’eau ! Affirme-t-il. Tu te rends compte, je t’avais bien dit de contrôler les niveaux d’huile et d’eau, c’est un moulin qui a 350 000 Kms, il bouffe de l’huile, c’est normal. Même les nouveaux 4x4 bouffent de l’huile. Si tu as fait 200 mètres, ce n’est pas grave, mais si tu as fait 200 Kms, le moteur est dans le sac ! » Jeff, qui est debout sur le banc public (impressionné sans doute par ces truands et essayant de se grandir) proteste : « je n’ai pas rouler beaucoup depuis que je l’ai… C’est pas normal, le moteur était mort avant… de toute façon le véhicule, n’a pas le droit de rouler ! ». De façon théâtrale, le malin prend le relais : « Je ne rentre pas avec ce véhicule, je ne tiens pas à me retrouver en rade sur la route… et puis, j’ai soif. Les gens veulent des voitures et ils ne regardent pas l’huile… et puis j’ai faim ! Dans quel état est la segmentation ? » Il en fait tellement qu’il se surprend lui-même et pouffe de rire un instant. Le troisième homme est installé dans le 4x4 et remplit des papiers. Le Hollandais continue : « Oh, la, la ! 16 heures de travail perdues, on ne peut pas rentrer avec ça ! On a de l’eau et de l’huile, mais si tu as fait 1 000 Kms comme ça le moteur est cuit ! ». Le malin sort les contrôles techniques (Jeff avait faxé celui de Privas) et commence une démonstration, digne d’un avocat, il connaît le dossier par cœur et essaie de prouver à un auditoire, qui ne l’écoute que pour admirer sa ruse, que le contrôle technique de Privas, c’est du pipeau ! Je m’aperçois que les escrocs ont bien appris leurs rôles et que Jean-François ne fait pas le poids. Quant a moi, à ce moment, je ne connais pas l’histoire, je ne sais pas quoi dire, face à ces truands, pour défendre mon voisin et je ne peux que rester spectateur ahuri.
« Qu’est-ce que tu proposes ? » demande le Hollandais à Jeff.
« Vous laissez la calèche, vous rentrez avec le 4x4 et tu m’envoies le chèque de 4 500 euros » répond Jean-François après un moment.
Le Hollandais se dévoile : « Bon, je prends le risque de rentrer avec mais je te donne 2 000 au lieu de 4 000 ! ».
Après un long temps de réflexion, Jean-François se sent piégé et lance : « Tu me donnes la moitié de la somme !»
Le Hollandais attrape la balle au bond : « OK, 2 250 ! » Il sort une liasse impressionnante de sa poche et donne 2 500 euros à Jeff (encore un cadeau).
Leur objectif atteint, les trois renards s’activent. Le troisième homme fait signer les papiers. Pendant qu’ils font les niveaux (ou font semblant). Jean-François et moi désanglons la calèche et la descendons du plateau.
Le Hollandais nous dit avoir mis trois litres d’huile. Le moteur du 4x4 démarre lançant une belle fumée bleutée. Les acteurs s’éloignent sans nous saluer et le rideau tombe.
Jean-François a réussi à se débarrasser du tas de ferraille, mais la leçon lui a coûté très cher :
2 000 euros et une Clio.