dimanche 30 décembre 2012

dimanche 17 mai 2009

Meeting au sel de Guérande

paludier400

Bien qu’il soit là, le paludier n’est pas las de manier le las*.
Le 16 et 17 mai 2009, Pierrick a organisé un meeting CouchSurfing (CS) à Guérande (44) sur le thème : visite des marais salants et fête médiévale. Une quarantaine de CouchSurfers a répondu à son appel.

Dès le début d’après-midi les hôtes, en majorité de l’Ouest de la France, sont arrivés avec leur tente et leurs grillades ; Simone a suscité l’attention en installant sa caravane miniature de 1962 : une Eriba Puck de collection.

Le premier « coffee or drink » avalé, Pierrick, le paludier*, a emmené son escorte visiter sa saline* à une dizaine de Km de la maison. Après avoir retrouvé les CouchSurfeurs égarés, parce qu’ils avaient suivi une « voiture rouge » perdue elle aussi, il leur a tout dit. Il a expliqué à son auditoire, plus ou moins attentif à cause du vent frais qui soufflait quelque peu, comment se forment les cristaux de sel et comment procèdent les paludiers pour le récolter depuis des siècles. Le soleil et le vent de mai ne permettent pas de cristalliser le chlorure de sodium, cependant à la demande générale Pierrick a montré le maniement du las.* Heureux de ce cours sur l’activité salicole, une grosse partie de la troupe est retournée chez le maître du meeting. À l'origine le sel servait à conserver le beurre, à l'heure du réfrigérateur (il est 20H00) le sel ne sert qu'à relever son goût. Ha," le beurre breton au sel de Guérande..."

La journée a été immortalisée sur le canapé et la soirée a été conviviale. Les invités ont fait un peu mieux connaissance autour d’un verre ou du barbecue, au son de la guitare.

Gageons que la fête médiévale du dimanche aura été aussi instructive.

*Paludier : l’homme du marais qui récolte le sel.
*Saline : marais salant.
*Las : outil servant à la récolte du sel.
Plus d’info sur le sel de Guérande : Terre de Sel

jeudi 19 mars 2009

Le passage

dieuOnze heures. Mon portable vibra dans ma poche ; André, mon coéquipier avec qui je fais la paire du « service info », était en train de me rendre-compte de la réunion de direction. Je ne l’attendais pas cet appel ou plus précisément j’avais momentanément effacé cette perspective de mon souvenir : « Je suis infirmière du service Renan, à l’hôpital sud, votre père est au plus mal ! » m’annonça une voix féminine à l’accent chaleureux. La mémoire me revint soudain, mon père était hospitalisé depuis trois semaines et on devait me prévenir si son état s’aggravait. Je ne voulais pas qu’il meure, mais je savais pourtant que la balance penchait en ce sens, sa mort devenait inéluctable. Mon paternel était en fin de vie imminente, c’est ce que je compris devant l’insistance de l’infirmière et de l’interne qui avait pris le combiné à son tour ; il me conseilla d’appeler ma mère que j’avais, elle aussi, oubliée. Coïncidence ? Celle-ci était juste partie faire des courses et nous ne pouvions la joindre. Mon épouse décida de me retrouver, seule, en hématologie. À moto je roulais calmement, sachant qu’il m’attendrait ; je ne pris donc aucun risque, comme me l’avait inspiré la femme en blanc ; je savais écouter les avertissements.

Dans le service, l’interne venu à ma rencontre me déclara, avec ménagement et douceur, que mon père était dans un coma léger depuis le matin, que la médecine œuvrait pour qu’il ne souffrît pas et qu’il s’éteignît paisiblement ; et déjà ma conjointe arrivait, déconfite. Deux soignants, nous laissèrent place auprès du mourant de chaque coté du lit.

Son visage, rouge de fièvre, s’était quelque peu momifié depuis la veille, seul son souffle rocailleux et sa température encore élevée, malgré dix-huit jours de traitement, créaient encore l’illusion de vie. Son coma était provoqué par un probable AVC dû au manque de plaquettes dans son sang. Je lui serrais le poignet qui restait sans réaction, mais il nous ressentait, là près de lui ; je l’embrassais pour la septième fois en une semaine, après trente-huit ans d’abstinence et j’y prenais goût, c’était la dernière fois, je le savais. Il ventilait normalement contrairement aux jours précédents, ce qui indiquait que son organisme souffrait d’un manque d’oxygène. J’essayai de trouver une phrase gentille, que je pouvais lui offrir d’humain à humain, et je lui confiai le compliment que l’inspiration venait de me fournir, profitant de l’absence temporaire de mon épouse qui essayait une énième fois de contacter ma mère.

Il avait choisi de mourir de jour, pour ne pas nous déranger au milieu de la nuit, cela lui ressemblait tout à fait. D’ailleurs son infirmière confirmait qu’il n’appelait jamais, alors que c’était lui qui en avait le plus besoin, il attendait patiemment que quelqu’un du personnel passât dans sa chambre.

Midi sonna. Vint la première pause. Je connaissais cet arrêt soudain de la ventilation, j’avais été ambulancier, vingt ans plus tôt. Plusieurs patients m’avaient bizuté et je les stimulais afin qu’ils arrivassent à bon port. À présent, il s’agissait de mon père et il n’était pas question de passer la main, j’attendais donc calmement, les bras chargés d’une énergie gémellaire. À la sixième seconde, ses poumons recommencèrent à se soulever, au même rythme que précédemment. Depuis quelques minutes, doucement, je lui caressais le bras droit et m’aperçus que ma compagne, de l’autre côté du lit, en faisait autant avec le membre opposé. Vint le second arrêt, un silence de mort régnait dans la pièce, je comptais mentalement, cinq… et à six sa poitrine s’agita de nouveau jusqu’à la troisième halte. Cinq, six, sept, je posai ma main sur son thorax, suppliant mentalement : « Encore une fois ! »… Huit, neuf, son pouls s’amplifia, et tapait à grands coups dans la paume de ma main, la mesure de son cœur. Sa fréquence augmenta jusqu’à devenir continue. J’imaginais la pompe cardiaque s’affolant… jusqu’à la fibrillation. Il n’avait pas ouvert les yeux, n’avait pas esquissé un dernier souffle. Tout s’arrêtait. À nouveau le silence. Mon père était décédé à midi dix ce 23 janvier 2009.

Un corps était allongé sur un lit d’hôpital, deux mètres plus bas, son fils et sa belle-fille l’entouraient. Il reconnut l’enveloppe inerte qui lui avait servi à se mouvoir, à vivre dans ce monde, pendant près de quatre-vingt ans. Il avait donc passé l’arme à gauche, en douceur, se retrouvait en paix oubliant déjà son agonie, c’était une sensation étrange de se savoir mort. Il ne croyait pas en un dieu tout puissant qui poussait les humains à s’exterminer pour un territoire. Un tunnel noir s’ouvrait cependant derrière lui, était-ce une autre réalité ou son dernier rêve ? Il allait bientôt le savoir. Il regarda à nouveau vers le bas et considéra son fils qui le cherchait des yeux sans l’apercevoir, il voulait faire un signe à sa progéniture mais déjà des voix l’appelaient doucement. Il s’engouffra dans le tunnel, vers cette lumière blanche, pendant que les cellules, encore vivantes de son corps s’asphyxiaient par milliers.

mardi 7 octobre 2008

L'ange gardien

bus3J'avais rendez-vous chez un stomatologue pour une intervention sur la racine de ma dent « 15 ». Durant la consultation préliminaire, le praticien m'avait conseillé de ne pas venir à moto, car mon casque risquait de me gêner au retour, je décidais tout simplement de prendre les transports en commun.
Je pris donc le bus N°3, avenue du Canada en direction du boulevard de Metz, à l'autre bout de la ville, où se trouvait la « clinique buccale ». Dans l'autobus, je restais debout devant un fauteuil vide qui se trouvait face à moi et qui tournait son dossier à la route. J'aime bien les surprises et quelle ne fut pas ma joie lorsqu'une jeune femme blonde et charmante, la trentaine, vint s'asseoir à cette place deux arrêts plus loin, j'en étais ravi. J'étais à moins d'un mètre d'elle et je décidais de lui faire la conversation à la japonaise, je veux dire lui parler mentalement… Une idée comme ça. Mes pensées, je ne peux pas dire mes paroles, étaient douces, aimables, sympathiques et flatteuses. La jeune femme, la tête légèrement tournée vers la fenêtre, se mit à fermer les yeux pour mieux m'entendre. Un rayon de soleil vint lui caresser le visage, il m'aidait bien… Mon monologue durait et la femme maintenant souriait, elle aimait, elle adorait, sa respiration s'accélérait. De temps en temps, elle me regardait, mine de rien, comme si elle se demandait ce qui lui arrivait. Pendant ce temps, le bus roulait, je ne voyais pas le temps passer et je ne pensais pas à ce qui m'attendait chez le « stomato » (ketchup). Un peu plus loin, une septuagénaire vint s'accrocher à la barre qui nous séparait, ce qui ne m'empêchât pas de continuer mon discours.
Je connaissais bien la ville, mais ne savais pas quel était l'arrêt le plus près de mon boulevard de destination, c'est donc tout simplement que j'engageais une conversation orale avec la même jeune femme :
- Excusez-moi, vous connaissez la ligne ? Demandais-je sur le même ton que mon aparté.
- Heu, oui ça dépend, répondit-elle encore sous l'effet de mes compliments.
- Connaissez-vous l'arrêt le plus proche du boulevard de Metz ? Continuais-je.
- Ha, non pas du tout ! S'exclamât-elle, désolée.
- Je descends à cette station, intervint la septuagénaire, si vous voulez descendre avec moi ?
- Avec plaisir, c'est donc vous que je suis, concluais-je... décontenancé, essayant de ne pas montrer ma déception.
Je remerciai la jeune femme d'un sourire qu'elle me rendit, ravie d'entendre que j'avais obtenu ma réponse et aussi pour s'excuser de n'avoir pu me renseigner.
L'autobus stoppa, nous nous saluâmes d'un hochement de tête, esquissant un nouveau mouvement des lèvres et des yeux, pendant que je descendais et que je suivais mon nouvel ange gardien. Je remerciai mon guide et filai vers mon calvaire car j'étais très en … j'étais en avance !

samedi 4 octobre 2008

Le secret du motard

motard Ne devions nous pas faire un tour de moto ? Allez viens je t’emmène.

Le motard est un pilote et un conducteur. Apprécier l’effet gyroscopique, connaître sa moto, son comportement, son accélération, son freinage, son inclination : c’est le pilotage ! En roulant, tenir compte de la route, de la signalisation, des autres usagers : c’est la conduite ! tout ces apprentissages doivent être acquis par le motocycliste qui ne doit faire qu’un avec sa machine.

Quand je la regarde sur sa béquille centrale elle ne me trompe pas, elle n’est pas humaine ce n’est qu’une bécane, une mécanique qui mène au plaisir…

Je démarre l’engin, les cents chevaux hennissent prêts à se cabrer ; j’accélère à coups répétés, les trois cylindres feulent, rugissent à la manière d’une panthère. Plus de doute la belle est une bête !

Je m’élance doucement sur la voie, je connais son caractère il ne faut pas la brusquer. Elle vibre entre mes cuisses, m’enivre déjà car je connais ce qui m’attend. Le vent qui me fouette, le paysage qui défile, l’accélération qui m’émoustille me donne ces sensations de liberté que le passager ou la passagère connaît. Tout ceci n’est que l’aube du délice, le motard a son secret…

Voilà les premiers virages : l’adrénaline monte en même temps que l’agrément ; la route jusqu’alors ligne de conduite devient ligne de plaisir ; la jouissance se module suivant les courbes de l’asphalte. Je me concentre, mon œil informe mon cerveau qui analyse la vitesse, donne la trajectoire et ordonne à mes membres d’accélérer ou de freiner. La vitesse n’a pas besoin d’être très élevée, il suffit qu’elle soit adaptée au virage. Une vitesse, trop faible et je suis frustré le plaisir est pauvre, bien dosée c’est l’extase, excessive c’est la sortie de route ou l’orgasme : la fin du plaisir. Tu auras compris qu’il ne faut pas atteindre l’orgasme au premier virage, l’éviter le plus longtemps possible, le frôler au plus près sans jamais l’obtenir. Je ne suis pas dupe : plus vite…moins vite… encore… ce n’est pas ma maîtresse qui me le demande, c’est mon propre esprit.

Une entrée de courbe trop rapide, je reçois l’ordre de freiner, des frissons me parcourent le dos, déjà l’ordre d’accélérer m’est donné pour raviver l’émotion avant qu’elle ne disparaisse. Les virages enjôleurs s’enchaînent et les plaisirs se déchaînent. Je continue, j’aime jusqu’à l’épuisement.

Je préfère les départementales sinueuses et leurs arabesques, aux quatre-voies fadasses où sévit la loi castratrice et ses radars voyeurs. Après une journée de moto, je suis fatigué, repu et satisfait.

J’aime partager ces délices avec mes copains motards, comme on partage un festin entre amis. C'est tout ça la moto !

Tu me demandes alors , comment je perçois la présence d'une passagère ou d'un passager ? Avec une passagère, on ne peut qu'éprouver les prémices : l'accélération, le vent , lui faire écouter le cri de la bête. Les bras de celle-ci, ceinturant le pilote sont agréables, son Aura le réchauffe, si on veut aller plus loin avec elle, mieux vaut s'arrêter et rouler dans l'herbe en sa compagnie, l'emmener directement au delà du virage serait criminel ! Quant à un passager, c'est occasionnel, c'est juste du transport.

dimanche 21 septembre 2008

Bain de sang

Le thème imposé était : "Paroles de baignoire"

Marat

Jean-Paul Marat avait quitté la chambre des députés pour la salle de bain, une nouvelle poussée d’eczéma le faisait souffrir gravement. L’origine de sa gourme semblait incertaine pour ses médecins : herpétique d’après Souberbielle, diabétique d’après Cabanès. Depuis plus d’un mois, il passait donc le plus clair de son temps à ramollir ses croûtes dans mes eaux y rajoutant poudres et autres remèdes de grand-mère. L’Ami du peuple continuait cependant à travailler, il écrivait sur une planche grossièrement rabotée posée de mon bâbord à mon tribord.
Nous cabotions ensemble tantôt dans un jus royal de guillotine, tantôt sur un océan d’hémoglobine. Les têtes royalistes étaient tombées d’abord, c’était maintenant aux bobines des « ennemis du peuples » de rouler dans la sciure.
Cette table improvisée supportait le dernier numéro du Publiciste de la République Française dont Marat était le principal rédacteur et deux billets d’une certaine Marie-Anne Charlotte Corday. Cette femme, dans sa correspondance, lui demandait une entrevue au sujet d’un complot organisé par des Girondins réfugiés à Caen dans le Calvados. Elle s’était déjà présentée le matin à la maison, au 30, rue des Cordeliers, mais la portière l’avait refoulée. C’est ce que cette dernière avait rapporté à Marat.
Vers 7 heures du soir ce 13 juillet 1793, nous entendîmes de la salle de bain, un fiacre s’arrêter dans la rue. Quelques minutes plus tard, la maîtresse de Marat ouvrît la porte des appartements, puis arrêta une jeune femme qui voulait s’entretenir absolument avec l’Ami du peuple. Marat toujours à bord de mon sabot fut sorti de ses écrits par les éclats de voix des deux femmes. Au bout de quelques secondes d’attention, il comprit qu’il s’agissait de l’inconnue dont il avait reçu les deux messages. Il ordonna à Albertine, malgré son désaccord, de la laisser entrer.
Charlotte pénétra dans la salle de bain ; le soleil n’éclairait plus la rue étroite et la lumière baissait dans la pièce. La jeunette était habillée à la mode révolutionnaire et le quadragénaire était nu, sans culotte bien qu’il n’en fut pas un. Autre contraste, leur âge, elle allait bientôt fêter ses 25 ans et paraissait très jeune comparée à Jean-Paul, un vieillard bien qu’il n’eut que 46 ans. Charlotte, bras ballants le long de mon émail, fuyait le regard du député de peur qu’il ne lise son destin dans ses prunelles. Il l’interrogea sur la situation dans le Calvados, elle essaya d’endormir au mieux son interlocuteur. Il lui demanda avant de la congédier de lui dicter les noms des députés réfugiés en Normandie déjà mis en accusation par la convention ; elle s’exécuta. Quand il eût écrit le dernier… Duchastel, il s’exclama : «Très bien…Sous peu, ils passeront tous à la guillotine ! » Guillotine, c’est le mot qui rappela à Charlotte ce qu’elle était venue faire dans cette maison, faire cesser ces massacres à la guillotine orchestrés par Marat. Elle sortit une lame de son corsage et exécuta le tyran, le frappant au niveau du cœur. Un seul coup, la précision du geste et sa violence suffirent à trancher l’aorte de la victime qui appelait déjà sa maîtresse au secours. Son artère pissait maintenant en saccades, arrosant les murs. Son sang réchauffait et teintait mon eau, je ne bougeais point, ma fonte émaillée resta de marbre. Ha, si j'avais été de cuivre, j'aurais pu sonner l'hallali.
La porte demeurait entrouverte et Albertine aux aguets entra aussitôt dans la boucherie suivie des gens de maison. Jean-Paul avait gerbé son âme.
Corday, qui avait laissé tomber le couteau sur le sol, n’avait ni bronché ni perdu ses couleurs, elle restait cornélienne. On l’arrêta et on l’emmena à l’Abbaye, la prison la plus proche, escortée par des gens d’armes. De la voie montaient les cris hostiles de la foule. Paris venait d’apprendre la nouvelle et accourait voir la diablesse. Puis le silence…
J’appris plus tard par la conversation des gens de maison que Marie-Anne Charlotte de Corday d’Armont, avait été guillotinée revêtue d’une chemise rouge réservée aux parricides et qu’elle avait fait montre de courage.
C’est l’histoire la plus originale à laquelle j’ai assisté, mais je vous rassure une baignoire peut aussi avoir une vie d’ange.

dimanche 7 septembre 2008

Des Roms et des cigarettes


Mon fils aîné, qui habite Lyon, a décidé de passer ses deux jours de repos en Ardèche avec moi, je viens de Bretagne et nous nous sommes donné rendez-vous à la gare de Valence où j’arrive avec une heure d’avance. Je trouve une place sur le parking juste en face. Il reste cinquante cinq minutes avant l’arrivée de mon Lyonnais, je décide d’avaler un köfte au kebab du coin et de prendre mon temps.
Sur la placette, une demi-douzaine de jeunes Roms venus probablement des Balkans fait la manche ; je déballe un nouveau paquet de vingt-cinq Lucky Strike, en allume une, tout en me dirigeant vers le kebab ; l’une des adolescentes vient vers moi me tendant son gobelet, je lui indique mon refus avec le sourire, elle me demande alors une cigarette que je lui tends volontiers et que je lui allume à sa demande gestique.
Dévorant mon sandwich turc, à la terrasse du restaurant près de la gare, mes pensées vont bon train, tous mes bagages sont dans la voiture et je doute l’avoir fermée. "Ben oui ma bonne dame, vous connaissez la réputation des Tziganes et des Bohémiens ?" J’ai beau me dire qu’il n’arrivera rien, que ces pensées négatives et collectives, que ces préjugés envers les Roms et les mendiants, que ces "kris(1) gadjés" en somme ne sont pas miens, je ne suis pas tranquille et je retourne sans délai à la voiture avec ma sacoche et mon paquet de cibiches dans les mains, repassant tout près des quêteurs. Surprise, rien n’a bougé, les vitres sont intactes et les portières closes.
Une seconde jeune fille s’avance alors vers moi me demandant un clope, content d’avoir retrouvé toutes mes affaires j’y consens. Je cherche mon paquet dans mes poches, dans ma sacoche, dans mes mains, mes recherches restent vaines et j’explique à la Boiash, ou à l’Arlie, ou bien à la Gurbeti, ou encore à la Lovara, à moins que ce ne soit une Kalderach(2) que je viens de perdre le fabuleux trésor de nos poumons ; je refais l’aller-retour jusqu’au kebab scrutant le sol et je l’aperçois enfin à trois mètres des pieds des quémandeurs qui sont maintenant assis en ligne et qui ne l’ont pas remarqué. Pour eux, il n’est pas pensable qu’un paquet de cigarettes arrive plein à leurs pieds, c’est pour cela qu’ils ne l’ont pas aperçu. La leçon vaut bien cinq cigarettes que je leur distribue avec plaisir.
Ma récompense a été un petit signe de la main et un sourire que les deux jeunes filles m’ont adressé, lorsque je suis reparti avec mon fiston. "Ben oui ma bonne dame, les Roms sont p't êt' ben des Humains ?"
1) Le kris est un tribunal informel rom.
2) Nations des Roms d'Europe de l'Est et des Balkans.
3) A la fin de l’histoire, combien reste-il de cigarettes dans mon paquet ?