samedi 5 avril 2008

Trois escrocs pour un 4x4

Marie et Jean-François, les potiers, avant de revenir en Ardèche où ils ont vécu quelques années plus tôt, habitent le Cher dans le Berry. Là-bas, ils possèdent déjà leurs deux chevaux des fjords et ont sympathisé avec des voisins qui aiment aussi les solipèdes ou les équidés. En somme, ils ont le même dada. L’homme, d’origine hollandaise, est aussi passionné de mécanique et collectionne les 4x4. Il a construit un de ces engins, moulant lui-même la carrosserie en polyester. Son prototype a été reçu par le service des mines sans problème, c’est donc un bon mécanicien aux yeux de Jean-François.
Lors d’un retour de balade dans un autre tout-terrain, le Hollandais propose à Jeff : « Tu pars en Ardèche, c’est un 4x4 qu’il te faut, si cela t’intéresse, celui-ci est à vendre... on va s’arranger ! ». Jean-François se voit déjà avec les quatre roues motrices dans les raidillons du Parc des Monts d’Ardèche où la famille va s’installer.

Jeff est en Ardèche quand la négociation a lieu. Contre le véhicule du Hollandais qui indique plus de 350.000 Kms au compteur, Jean-François donne une calèche de chasse, sa vieille Clio qui roule bien encore et 4 500 euros. Lors de la vente, le Hollandais fournit un rapport de contrôle technique vierge de tout défaut. Jeff part confiant, l’ancien propriétaire du 4x4 lui offre, par-dessus le marché, un autoradio dans son emballage.

Jeff travaille en intérim à Privas, en attendant que l’atelier de potier soit installé dans leur nouvelle maison. Sur le trajet, il est fier comme Benoît XVI, dans son nouveau véhicule, il ne lui manque que la musique. Il se rend chez un électricien auto pour qu’on lui installe l’autoradio que le Hollandais lui a donné. « Vous n’avez pas le faisceau de l’appareil ? S’inquiète le professionnel, c’est ce qui coûte le plus cher… Moi je vends ce modèle, à cent euros, et la connectique est incluse » ajoute-t-il. Un déclic se produit dans la tête de Jeff, et si le vendeur du 4x4 lui avait menti sur toute la ligne ? Il décide d’en avoir le cœur net et de faire passer le véhicule au contrôle technique de Privas après la première semaine d’utilisation.

A son arrivée au garage, l’employé lui annonce d’entrée de jeu : « Je ne passe pas ce véhicule au contrôle, c’est un engin interdit sur la route, l’essieu est trop large… j’en réfère à mon patron. » Un peu plus tard, c’est Jean-Louis, le patron, qui inspecte le 4x4, il recense deux pages d’anomalies dont sept interdisant l’usage sur route ouverte. Jean-Louis conseille Jeff : « Il faut impérativement annuler la vente, se débarrasser de ce tas de ferraille ! Il y a des contrôles qui sont achetés, précise-t-il, ce n’est pas rare. » Il lui donne l’adresse de la répression des fraudes et précise que, si il va au tribunal, la procédure sera très longue. Jean-François a peur des représailles et préfère un arrangement à l’amiable. Il contacte le vendeur qui ne manque pas d’audace et qui explique que c’est le contrôle technique de Privas qui ne connaît pas son métier car le contrôle réalisé dans le Cher était très sérieux. Jeff lui propose de venir récupérer le 4x4 et de lui rendre la calèche et les 4 500 euros, l’argent de la Clio, déjà revendue, restant dans la poche du Hollandais. C’est ce qui, pense Jean-François, va pousser notre escroc à venir chercher son tacot.
Rendez-vous est pris, au carrefour de la Baraque, pour le nouvel échange.

Avec le Hollandais dans le rôle de la victime :

C’est là que je rentre dans l’histoire, sans la connaître. Jeff, mon voisin potier, m’explique rapidement qu’il s’est fait avoir avec un véhicule et que son ancien propriétaire vient en reprendre possession, accompagné d’un de ses collègues. Il a besoin de moi pour monter la calèche dans sa remorque. Il démarre le 4x4 qui est immobilisé en bas de chez lui, depuis qu’il connaît sa dangerosité et le conduit jusqu’au carrefour, lieu du face à face. Je rejoins mon voisin à l’intersection, au moment où un autre 4x4, beaucoup plus gros et plus récent celui-là, immatriculé dans l’Allier, arrive à son tour, tirant une calèche de chasse sur un plateau. Trois hommes, de taille moyenne, la quarantaine, en descendent. Le premier de type hollandais, à la chevelure blonde grisâtre, semble connaître Jeff. Il évite mon regard, peut-être à cause de son strabisme. Le second, antipathique, cheveux bruns piqués sur le crâne, au contraire du premier, est arrogant et ses yeux sont vifs et malins. Quand au troisième, non typé, brunet aussi, il semble plutôt sympathique. Après un bonjour rapide et froid, les trois personnages entrent en scène et s’activent autour du véhicule à reprendre, comme si chacun d’eux en était l’ancien propriétaire, c’est très surprenant. Les critiques fusent : « Le feu arrière n’était pas cassé ! dit le malin, les pneus sont sous gonflés et l’aile arrière n’était pas pliée comme ça ! » ajoute-t-il. « Mais si ! » balbutie Jean-François qui n’a, semble-t-il, pas appris son texte. Le Hollandais a soulevé le capot et vérifie les niveaux : « Il n’y a pas une goutte d’huile et il n’y a plus d’eau ! Affirme-t-il. Tu te rends compte, je t’avais bien dit de contrôler les niveaux d’huile et d’eau, c’est un moulin qui a 350 000 Kms, il bouffe de l’huile, c’est normal. Même les nouveaux 4x4 bouffent de l’huile. Si tu as fait 200 mètres, ce n’est pas grave, mais si tu as fait 200 Kms, le moteur est dans le sac ! » Jeff, qui est debout sur le banc public (impressionné sans doute par ces truands et essayant de se grandir) proteste : « je n’ai pas rouler beaucoup depuis que je l’ai… C’est pas normal, le moteur était mort avant… de toute façon le véhicule, n’a pas le droit de rouler ! ». De façon théâtrale, le malin prend le relais : « Je ne rentre pas avec ce véhicule, je ne tiens pas à me retrouver en rade sur la route… et puis, j’ai soif. Les gens veulent des voitures et ils ne regardent pas l’huile… et puis j’ai faim ! Dans quel état est la segmentation ? » Il en fait tellement qu’il se surprend lui-même et pouffe de rire un instant. Le troisième homme est installé dans le 4x4 et remplit des papiers. Le Hollandais continue : « Oh, la, la ! 16 heures de travail perdues, on ne peut pas rentrer avec ça ! On a de l’eau et de l’huile, mais si tu as fait 1 000 Kms comme ça le moteur est cuit ! ». Le malin sort les contrôles techniques (Jeff avait faxé celui de Privas) et commence une démonstration, digne d’un avocat, il connaît le dossier par cœur et essaie de prouver à un auditoire, qui ne l’écoute que pour admirer sa ruse, que le contrôle technique de Privas, c’est du pipeau ! Je m’aperçois que les escrocs ont bien appris leurs rôles et que Jean-François ne fait pas le poids. Quant a moi, à ce moment, je ne connais pas l’histoire, je ne sais pas quoi dire, face à ces truands, pour défendre mon voisin et je ne peux que rester spectateur ahuri.
« Qu’est-ce que tu proposes ? » demande le Hollandais à Jeff.
« Vous laissez la calèche, vous rentrez avec le 4x4 et tu m’envoies le chèque de 4 500 euros » répond Jean-François après un moment.
Le Hollandais se dévoile : « Bon, je prends le risque de rentrer avec mais je te donne 2 000 au lieu de 4 000 ! ».
Après un long temps de réflexion, Jean-François se sent piégé et lance : « Tu me donnes la moitié de la somme !»
Le Hollandais attrape la balle au bond : « OK, 2 250 ! » Il sort une liasse impressionnante de sa poche et donne 2 500 euros à Jeff (encore un cadeau).

Leur objectif atteint, les trois renards s’activent. Le troisième homme fait signer les papiers. Pendant qu’ils font les niveaux (ou font semblant). Jean-François et moi désanglons la calèche et la descendons du plateau.
Le Hollandais nous dit avoir mis trois litres d’huile. Le moteur du 4x4 démarre lançant une belle fumée bleutée. Les acteurs s’éloignent sans nous saluer et le rideau tombe.
Jean-François a réussi à se débarrasser du tas de ferraille, mais la leçon lui a coûté très cher :
2 000 euros et une Clio.

1 commentaire:

Philippe a dit…

Fromage ou billets
toute leçon a un prix
tu devras payer.
Phil

Hors la loi voiture
moteur menteur voleur
l'Ardèche sourit
Eddy