KoKou est le roi du boubou, il est tailleur à Cotonou. Son chef-d’œuvre est un maillot bleu de l’équipe de France, floqué du numéro 10 de Zinedine Zidane. Cette belle pièce représente la France dont il rêve, l’endroit où il fait bon vivre, le Paradis futur. La France, Kokou n’y est jamais allé, mais il sait que c’est le pays des droits de l’Homme, où tous les individus, noirs et blancs, se respectent, où tout le monde est riche et bien habillé.
Il va souvent chez Huguette, une Française du centre-ville. Elle n’est pas de la métropole puisqu’elle vient d’une île, la Réunion, mais elle est Française et cela le rapproche de son rêve. Homme à tout faire, il lui donne quelques coups de main dans sa grande maison. Là-bas, il a rencontré Marie-Christine, la Parisienne, la sœur cadette d’Huguette.
Kokou a 31ans, Marie-Christine 45, mais comme elle en paraît dix de moins, il semble tous deux avoir le même âge. La créature est une sanguine, une nympho la Cricri, elle collectionne les mâles. Inéluctablement, à leur deuxième rencontre, elle l’a envoûté. En remuant, tel un asticot, son popotin, la mante a fait mouche. « Le chikungunya de Kokou m’a coquée » s’amuse-t-elle à dire.
Cricri n’est pas fidèle, c’est le moins qu’on puisse dire. Elle ne mange pas son mâle comme la mante religieuse, elle le jette quand il est épuisé. Souvent elle revient vers lui quand elle en a envie. Quelques fois elle alterne avec deux amants. Quand Kokou lui parle de mariage, elle éclate de rire. Elle a deux enfants conçus par deux géniteurs différents et elle n’est pas prête de s’attacher, si ce n’est pour des plaisirs coquins. Kokou, est un gentil et elle aime bien la partie de féminité qui brille en lui. Avant son départ pour la France, elle lui promet qu’ils reparleront mariage, sans y croire.
Les deux amants communiquent d’une capitale à l’autre par téléphone. Sans cesse, Kokou demande la main de Marie-Christine.
Elle accepte enfin, et l’été suivant, les futurs époux sont à nouveau réunis à Cotonou pour la noce. C’est le marié qui a confectionné son costume et la robe de la mariée. Leur union est célébrée et la nuit de noces orchestrée par Cricri : mémorable ! Hélas, Kokou n’a pas encore sa carte de séjour et voit repartir sa femme, seule, vers Paris.
Marie-Christine réalise les démarches nécessaires à leur rapprochement, auprès du consulat du Bénin et auprès de la préfecture dont elle dépend. Dans l’idéal, son époux est Français dans trois ans.
Voici le jeune Béninois débarquant à Roissy, en plein mois de janvier. « La France est si riche qu’on fait fonctionner « la clim » même en extérieur … » pense-t-il, gelé dans son maillot bleu flanqué du n° 10 de Zinedine Zidane. Heureusement, sa conjointe a pensé à lui et a amené un gros pull. Elle a soin de lui.
Kokou n’a pas de clientèle, il ne peut donc exercer son métier de tailleur en France. Avec l’aide de sa p’tite femme, il s’inscrit comme travailleur intérimaire et se voit bientôt confier une mission de manœuvre dans le secteur du bâtiment, dans la petite entreprise de Charles.
Tout va pour le mieux, or Cricri n’a pas changé, elle ne peut résister aux avances de son ancien amant et passe une nuit en sa compagnie prétextant l’anniversaire d’une amie. Son mari ne soupçonne rien. La diablesse se dit qu’il vaut mieux qu’il ferme les yeux, car s’ils divorcent, c’est le retour immédiat pour Cotonou. et puis « c’est bien aussi le Bénin » pense-t-t-elle, malicieuse.
Un an s’est déjà écoulé et son mari lui a déjà remboursé les frais du mariage, billets d’avions compris. Mission après mission, il est toujours dans la même entreprise de bâtiment. Pour appeler son ouvrier, le patron téléphone sur le portable de Marie-Christine qui sert d’intermédiaire et qui n’hésite pas à charmer son interlocuteur. Elle ne laisse aucune ambiguïté sur ses intentions. Charles, marié pourtant, animé par le démon de midi semble-t-il, lui donne rendez-vous. Avec Cricri, il n’y a pas loin du verre au lit et Charly passe à la casserole…
Les jours passent et la relation adultère de Charles et de Cricri perdure. Le fourgon de l’entrepreneur devient le lieu de leurs ébats. Acte manqué ou non, les deux amants sont de moins en moins discrets, c’est sans doute plus excitant. Ils se laissent surprendre dans une position qui ne laisse aucun doute, un dimanche, par le mari qui s’enfuit en courant. De retour au domicile conjugal, Kokou, touché dans son amour propre, s’énerve, prend Cricri au kiki et menace de la jeter par la fenêtre du troisième.
Le lendemain, Marie-Christine va droit au but, elle s’adresse à la police, à la préfecture et à son avocat, pour l’arbitrage conjugal. Rendez-vous est pris la semaine suivante pour une conciliation. Si Marie-Christine veut le divorce, Kokou est expulsé.
Tête baissée, il a revêtu son maillot bleu, fliqué du n° 10 de Zinedine Zidane. Au bout d’un bras levé, jaillit un carton rouge.
Marie et Jean-François, les potiers, avant de revenir en Ardèche où ils ont vécu quelques années plus tôt, habitent le Cher dans le Berry. Là-bas, ils possèdent déjà leurs deux chevaux des fjords et ont sympathisé avec des voisins qui aiment aussi les solipèdes ou les équidés. En somme, ils ont le même dada. L’homme, d’origine hollandaise, est aussi passionné de mécanique et collectionne les 4x4. Il a construit un de ces engins, moulant lui-même la carrosserie en polyester. Son prototype a été reçu par le service des mines sans problème, c’est donc un bon mécanicien aux yeux de Jean-François.
Lors d’un retour de balade dans un autre tout-terrain, le Hollandais propose à Jeff : « Tu pars en Ardèche, c’est un 4x4 qu’il te faut, si cela t’intéresse, celui-ci est à vendre... on va s’arranger ! ». Jean-François se voit déjà avec les quatre roues motrices dans les raidillons du Parc des Monts d’Ardèche où la famille va s’installer.
Jeff est en Ardèche quand la négociation a lieu. Contre le véhicule du Hollandais qui indique plus de 350.000 Kms au compteur, Jean-François donne une calèche de chasse, sa vieille Clio qui roule bien encore et 4 500 euros. Lors de la vente, le Hollandais fournit un rapport de contrôle technique vierge de tout défaut. Jeff part confiant, l’ancien propriétaire du 4x4 lui offre, par-dessus le marché, un autoradio dans son emballage.
Jeff travaille en intérim à Privas, en attendant que l’atelier de potier soit installé dans leur nouvelle maison. Sur le trajet, il est fier comme Benoît XVI, dans son nouveau véhicule, il ne lui manque que la musique. Il se rend chez un électricien auto pour qu’on lui installe l’autoradio que le Hollandais lui a donné. « Vous n’avez pas le faisceau de l’appareil ? S’inquiète le professionnel, c’est ce qui coûte le plus cher… Moi je vends ce modèle, à cent euros, et la connectique est incluse » ajoute-t-il. Un déclic se produit dans la tête de Jeff, et si le vendeur du 4x4 lui avait menti sur toute la ligne ? Il décide d’en avoir le cœur net et de faire passer le véhicule au contrôle technique de Privas après la première semaine d’utilisation.
A son arrivée au garage, l’employé lui annonce d’entrée de jeu : « Je ne passe pas ce véhicule au contrôle, c’est un engin interdit sur la route, l’essieu est trop large… j’en réfère à mon patron. » Un peu plus tard, c’est Jean-Louis, le patron, qui inspecte le 4x4, il recense deux pages d’anomalies dont sept interdisant l’usage sur route ouverte. Jean-Louis conseille Jeff : « Il faut impérativement annuler la vente, se débarrasser de ce tas de ferraille ! Il y a des contrôles qui sont achetés, précise-t-il, ce n’est pas rare. » Il lui donne l’adresse de la répression des fraudes et précise que, si il va au tribunal, la procédure sera très longue. Jean-François a peur des représailles et préfère un arrangement à l’amiable. Il contacte le vendeur qui ne manque pas d’audace et qui explique que c’est le contrôle technique de Privas qui ne connaît pas son métier car le contrôle réalisé dans le Cher était très sérieux. Jeff lui propose de venir récupérer le 4x4 et de lui rendre la calèche et les 4 500 euros, l’argent de la Clio, déjà revendue, restant dans la poche du Hollandais. C’est ce qui, pense Jean-François, va pousser notre escroc à venir chercher son tacot.
Rendez-vous est pris, au carrefour de la Baraque, pour le nouvel échange.
Avec le Hollandais dans le rôle de la victime :
C’est là que je rentre dans l’histoire, sans la connaître. Jeff, mon voisin potier, m’explique rapidement qu’il s’est fait avoir avec un véhicule et que son ancien propriétaire vient en reprendre possession, accompagné d’un de ses collègues. Il a besoin de moi pour monter la calèche dans sa remorque. Il démarre le 4x4 qui est immobilisé en bas de chez lui, depuis qu’il connaît sa dangerosité et le conduit jusqu’au carrefour, lieu du face à face. Je rejoins mon voisin à l’intersection, au moment où un autre 4x4, beaucoup plus gros et plus récent celui-là, immatriculé dans l’Allier, arrive à son tour, tirant une calèche de chasse sur un plateau. Trois hommes, de taille moyenne, la quarantaine, en descendent. Le premier de type hollandais, à la chevelure blonde grisâtre, semble connaître Jeff. Il évite mon regard, peut-être à cause de son strabisme. Le second, antipathique, cheveux bruns piqués sur le crâne, au contraire du premier, est arrogant et ses yeux sont vifs et malins. Quand au troisième, non typé, brunet aussi, il semble plutôt sympathique. Après un bonjour rapide et froid, les trois personnages entrent en scène et s’activent autour du véhicule à reprendre, comme si chacun d’eux en était l’ancien propriétaire, c’est très surprenant. Les critiques fusent : « Le feu arrière n’était pas cassé ! dit le malin, les pneus sont sous gonflés et l’aile arrière n’était pas pliée comme ça ! » ajoute-t-il. « Mais si ! » balbutie Jean-François qui n’a, semble-t-il, pas appris son texte. Le Hollandais a soulevé le capot et vérifie les niveaux : « Il n’y a pas une goutte d’huile et il n’y a plus d’eau ! Affirme-t-il. Tu te rends compte, je t’avais bien dit de contrôler les niveaux d’huile et d’eau, c’est un moulin qui a 350 000 Kms, il bouffe de l’huile, c’est normal. Même les nouveaux 4x4 bouffent de l’huile. Si tu as fait 200 mètres, ce n’est pas grave, mais si tu as fait 200 Kms, le moteur est dans le sac ! » Jeff, qui est debout sur le banc public (impressionné sans doute par ces truands et essayant de se grandir) proteste : « je n’ai pas rouler beaucoup depuis que je l’ai… C’est pas normal, le moteur était mort avant… de toute façon le véhicule, n’a pas le droit de rouler ! ». De façon théâtrale, le malin prend le relais : « Je ne rentre pas avec ce véhicule, je ne tiens pas à me retrouver en rade sur la route… et puis, j’ai soif. Les gens veulent des voitures et ils ne regardent pas l’huile… et puis j’ai faim ! Dans quel état est la segmentation ? » Il en fait tellement qu’il se surprend lui-même et pouffe de rire un instant. Le troisième homme est installé dans le 4x4 et remplit des papiers. Le Hollandais continue : « Oh, la, la ! 16 heures de travail perdues, on ne peut pas rentrer avec ça ! On a de l’eau et de l’huile, mais si tu as fait 1 000 Kms comme ça le moteur est cuit ! ». Le malin sort les contrôles techniques (Jeff avait faxé celui de Privas) et commence une démonstration, digne d’un avocat, il connaît le dossier par cœur et essaie de prouver à un auditoire, qui ne l’écoute que pour admirer sa ruse, que le contrôle technique de Privas, c’est du pipeau ! Je m’aperçois que les escrocs ont bien appris leurs rôles et que Jean-François ne fait pas le poids. Quant a moi, à ce moment, je ne connais pas l’histoire, je ne sais pas quoi dire, face à ces truands, pour défendre mon voisin et je ne peux que rester spectateur ahuri.
« Qu’est-ce que tu proposes ? » demande le Hollandais à Jeff.
« Vous laissez la calèche, vous rentrez avec le 4x4 et tu m’envoies le chèque de 4 500 euros » répond Jean-François après un moment.
Le Hollandais se dévoile : « Bon, je prends le risque de rentrer avec mais je te donne 2 000 au lieu de 4 000 ! ».
Après un long temps de réflexion, Jean-François se sent piégé et lance : « Tu me donnes la moitié de la somme !»
Le Hollandais attrape la balle au bond : « OK, 2 250 ! » Il sort une liasse impressionnante de sa poche et donne 2 500 euros à Jeff (encore un cadeau).
Leur objectif atteint, les trois renards s’activent. Le troisième homme fait signer les papiers. Pendant qu’ils font les niveaux (ou font semblant). Jean-François et moi désanglons la calèche et la descendons du plateau.
Le Hollandais nous dit avoir mis trois litres d’huile. Le moteur du 4x4 démarre lançant une belle fumée bleutée. Les acteurs s’éloignent sans nous saluer et le rideau tombe.
Jean-François a réussi à se débarrasser du tas de ferraille, mais la leçon lui a coûté très cher :
2 000 euros et une Clio.
Les uns éprouvent un véritable plaisir à écrire, les autres ont quelque chose à dire ou l’écriture est pour eux un exutoire. Tous doivent trouver la motivation pour effectuer le premier pas, un peu comme réaliser la première enjambée au départ d’un long voyage. C’est Kenneth White qui m’a donné l’impulsion lorsque j’ai lu son livre, Lettres à Gourgounel. Il a vécu seul en Ardèche, en 1962 ; il nous raconte son séjour, ses états d’âme et sa réalité sur les Ardéchois. Il écrit, comme cela lui vient, sous différents chapitres, dans un ordre qui n’est pas forcément chronologique. Il y mêle des vers de poètes chinois et japonais : "On me demande pourquoi je vis dans les montagnes bleues. Je souris sans répondre" dit Li Po. Kenneth ajoute : Eh bien, permettez-moi de hasarder une réponse, même si j’en conviens, un sourire est préférable. Je suis venu en ce lieu afin d’y accomplir une sorte d’alchimie". Une chose est sûre, c’est la façon dont son livre est construit qui m’a motivé à écrire ce que vous avez devant les yeux. Je raconte ce qui me vient à l’esprit sans tenir compte de l’ordre des choses : une espèce d’anarchie mémorielle dont le sujet principal est l’Ardèche. Pourquoi l’Ardèche ? Je souris sans répondre, mais je vous permets de hasarder une réponse…