dimanche 17 mai 2009

Meeting au sel de Guérande

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Bien qu’il soit là, le paludier n’est pas las de manier le las*.
Le 16 et 17 mai 2009, Pierrick a organisé un meeting CouchSurfing (CS) à Guérande (44) sur le thème : visite des marais salants et fête médiévale. Une quarantaine de CouchSurfers a répondu à son appel.

Dès le début d’après-midi les hôtes, en majorité de l’Ouest de la France, sont arrivés avec leur tente et leurs grillades ; Simone a suscité l’attention en installant sa caravane miniature de 1962 : une Eriba Puck de collection.

Le premier « coffee or drink » avalé, Pierrick, le paludier*, a emmené son escorte visiter sa saline* à une dizaine de Km de la maison. Après avoir retrouvé les CouchSurfeurs égarés, parce qu’ils avaient suivi une « voiture rouge » perdue elle aussi, il leur a tout dit. Il a expliqué à son auditoire, plus ou moins attentif à cause du vent frais qui soufflait quelque peu, comment se forment les cristaux de sel et comment procèdent les paludiers pour le récolter depuis des siècles. Le soleil et le vent de mai ne permettent pas de cristalliser le chlorure de sodium, cependant à la demande générale Pierrick a montré le maniement du las.* Heureux de ce cours sur l’activité salicole, une grosse partie de la troupe est retournée chez le maître du meeting. À l'origine le sel servait à conserver le beurre, à l'heure du réfrigérateur (il est 20H00) le sel ne sert qu'à relever son goût. Ha," le beurre breton au sel de Guérande..."

La journée a été immortalisée sur le canapé et la soirée a été conviviale. Les invités ont fait un peu mieux connaissance autour d’un verre ou du barbecue, au son de la guitare.

Gageons que la fête médiévale du dimanche aura été aussi instructive.

*Paludier : l’homme du marais qui récolte le sel.
*Saline : marais salant.
*Las : outil servant à la récolte du sel.
Plus d’info sur le sel de Guérande : Terre de Sel

jeudi 19 mars 2009

Le passage

dieuOnze heures. Mon portable vibra dans ma poche ; André, mon coéquipier avec qui je fais la paire du « service info », était en train de me rendre-compte de la réunion de direction. Je ne l’attendais pas cet appel ou plus précisément j’avais momentanément effacé cette perspective de mon souvenir : « Je suis infirmière du service Renan, à l’hôpital sud, votre père est au plus mal ! » m’annonça une voix féminine à l’accent chaleureux. La mémoire me revint soudain, mon père était hospitalisé depuis trois semaines et on devait me prévenir si son état s’aggravait. Je ne voulais pas qu’il meure, mais je savais pourtant que la balance penchait en ce sens, sa mort devenait inéluctable. Mon paternel était en fin de vie imminente, c’est ce que je compris devant l’insistance de l’infirmière et de l’interne qui avait pris le combiné à son tour ; il me conseilla d’appeler ma mère que j’avais, elle aussi, oubliée. Coïncidence ? Celle-ci était juste partie faire des courses et nous ne pouvions la joindre. Mon épouse décida de me retrouver, seule, en hématologie. À moto je roulais calmement, sachant qu’il m’attendrait ; je ne pris donc aucun risque, comme me l’avait inspiré la femme en blanc ; je savais écouter les avertissements.

Dans le service, l’interne venu à ma rencontre me déclara, avec ménagement et douceur, que mon père était dans un coma léger depuis le matin, que la médecine œuvrait pour qu’il ne souffrît pas et qu’il s’éteignît paisiblement ; et déjà ma conjointe arrivait, déconfite. Deux soignants, nous laissèrent place auprès du mourant de chaque coté du lit.

Son visage, rouge de fièvre, s’était quelque peu momifié depuis la veille, seul son souffle rocailleux et sa température encore élevée, malgré dix-huit jours de traitement, créaient encore l’illusion de vie. Son coma était provoqué par un probable AVC dû au manque de plaquettes dans son sang. Je lui serrais le poignet qui restait sans réaction, mais il nous ressentait, là près de lui ; je l’embrassais pour la septième fois en une semaine, après trente-huit ans d’abstinence et j’y prenais goût, c’était la dernière fois, je le savais. Il ventilait normalement contrairement aux jours précédents, ce qui indiquait que son organisme souffrait d’un manque d’oxygène. J’essayai de trouver une phrase gentille, que je pouvais lui offrir d’humain à humain, et je lui confiai le compliment que l’inspiration venait de me fournir, profitant de l’absence temporaire de mon épouse qui essayait une énième fois de contacter ma mère.

Il avait choisi de mourir de jour, pour ne pas nous déranger au milieu de la nuit, cela lui ressemblait tout à fait. D’ailleurs son infirmière confirmait qu’il n’appelait jamais, alors que c’était lui qui en avait le plus besoin, il attendait patiemment que quelqu’un du personnel passât dans sa chambre.

Midi sonna. Vint la première pause. Je connaissais cet arrêt soudain de la ventilation, j’avais été ambulancier, vingt ans plus tôt. Plusieurs patients m’avaient bizuté et je les stimulais afin qu’ils arrivassent à bon port. À présent, il s’agissait de mon père et il n’était pas question de passer la main, j’attendais donc calmement, les bras chargés d’une énergie gémellaire. À la sixième seconde, ses poumons recommencèrent à se soulever, au même rythme que précédemment. Depuis quelques minutes, doucement, je lui caressais le bras droit et m’aperçus que ma compagne, de l’autre côté du lit, en faisait autant avec le membre opposé. Vint le second arrêt, un silence de mort régnait dans la pièce, je comptais mentalement, cinq… et à six sa poitrine s’agita de nouveau jusqu’à la troisième halte. Cinq, six, sept, je posai ma main sur son thorax, suppliant mentalement : « Encore une fois ! »… Huit, neuf, son pouls s’amplifia, et tapait à grands coups dans la paume de ma main, la mesure de son cœur. Sa fréquence augmenta jusqu’à devenir continue. J’imaginais la pompe cardiaque s’affolant… jusqu’à la fibrillation. Il n’avait pas ouvert les yeux, n’avait pas esquissé un dernier souffle. Tout s’arrêtait. À nouveau le silence. Mon père était décédé à midi dix ce 23 janvier 2009.

Un corps était allongé sur un lit d’hôpital, deux mètres plus bas, son fils et sa belle-fille l’entouraient. Il reconnut l’enveloppe inerte qui lui avait servi à se mouvoir, à vivre dans ce monde, pendant près de quatre-vingt ans. Il avait donc passé l’arme à gauche, en douceur, se retrouvait en paix oubliant déjà son agonie, c’était une sensation étrange de se savoir mort. Il ne croyait pas en un dieu tout puissant qui poussait les humains à s’exterminer pour un territoire. Un tunnel noir s’ouvrait cependant derrière lui, était-ce une autre réalité ou son dernier rêve ? Il allait bientôt le savoir. Il regarda à nouveau vers le bas et considéra son fils qui le cherchait des yeux sans l’apercevoir, il voulait faire un signe à sa progéniture mais déjà des voix l’appelaient doucement. Il s’engouffra dans le tunnel, vers cette lumière blanche, pendant que les cellules, encore vivantes de son corps s’asphyxiaient par milliers.